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La Modernité

Sur les rives de la Yamuna, dans la capitale New Delhi, un bidonville s’est logé au sein d’anciens temples abandonnés.

 

La vie s’est nichée entre les murs décrépis aux couleurs pastel. Une jeune femme assise en tailleur qui confectionne des colliers de fleur destinés à être vendus sur le bord de la route. Une mère qui frotte énergiquement son sari avec une brosse dure pour nettoyer les taches. Des enfants réfugiés sous les arbres qui leur procurent un peu d’ombre. A leurs pieds, la Yamuna, l’une des sept rivières sacrées d’Inde. Le rythme ici est donné par la rivière. On y boit, on y cuisine, on lave ses vêtements et ustensiles, on fait sa toilette.

 

Le devrait-on seulement ?​

 

Le taux de pollution de l’eau est tel qu’elle s’apparente désormais à un poison. Les infrastructures de gestion et d’assainissement de l’eau n’ont pas suivi le développement économique, urbain et démographique de la capitale.

En moins de 60 ans, la population est passée de 2,6 à 16,7 millions de personnes. Un bond considérable réalisé en quelques décennies à peine.

 

Vite, trop vite.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’expansion économique et technologique que connaît l’Inde depuis son indépendance a permis au pays de se positionner en tant que puissance émergente de l’Asie et 11ème puissance économique mondiale.

La modernité a placé l’homme au centre de toutes choses, comme maître d’une nature dont il se détourne. 

 

Ne s’en est-il pas trop éloigné ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La modernité serait responsable du désintérêt porté par les nouvelles générations à la santé de la nature. Pollution chimique causée par les pesticides des agriculteurs, pollution industrielle, pollution domestique causée par l’homme.

C’est pourtant cette même modernité qui a permis au pays de se placer parmi les grands et d’acquérir un tel degré de développement économique et technologique. Elle a aussi participé au creusement des inégalités entre les très riches et les très pauvres.

 

La modernité indienne est paradoxale.

 

Quelques coups de klaxon, un coup de volant, le moteur grogne et c’est parti. Le rickshaw est peut-être le meilleur moyen de découvrir les belles ambigüités de Delhi. La chaleur monte de l’asphalte, tout comme le bruit et la poussière. Les passagers de l’engin infernal profitent d’une brise chaude une fois qu’il est lancé. Ce générateur de gaz toxiques a au moins le mérite, en fendant l’air à toute vitesse, de faire disparaître les gouttes de sueur qui perlent sur les fronts et au-dessus des lèvres.

 

Ces voiturettes jaunes et vertes sont indispensables à ceux qui veulent parcourir l’immense cité. Immense et puissante, à l’image du pays du tout entier. D’ici 2025, l’Inde occupera le troisième rang économique mondial, selon la banque d’affaire américaine Goldman Sachs. Pourtant 75% de sa population vit avec moins de deux dollars par jour. Le choix de la technologie semble s’être fait au détriment de celui de l’alphabétisation et de la scolarisation. Mais au sein de la plus grande démocratie du monde, difficile de conjuguer les ambitions de croissance d’une minorité libérale et la nécessité criante d’une redistribution des richesses.
 

En 1947, à l’indépendance, le pays disposait d’un solide tissu industriel. La classe politique et la classe des affaires se sont naturellement tournées vers un compromis pour générer plus de croissance. Sous le gouvernement de Jawaharlal Nehru, l’Etat avait établi un système de planification pour contrôler les industries de base et développer les infrastructures nécessaires au pays. Mais avec l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Manmohan Singh en 2004, un virage néolibéral s’opère. Les inégalités sociales et géographiques explosent avec la libéralisation de l’économie. Une économie de marché mêlée à un modèle de développement pro-affaires est propice à la concentration des richesses et du pouvoir. 
Ce qui explique pourquoi l’Inde, qui est aujourd’hui l’une des grandes puissances économiques, subit une paupérisation vertigineuse de sa population.
« Le pays souffre d’un déficit d’infrastructures en matière de transport, d’approvisionnement énergétique ou de réseaux de distribution d’eau », selon un rapport du Centre Tricontinental mené par la sociologue Aurélie Leroy.

 

Dix roupies de plus au compteur, et voici le centre commercial du sud de la ville. Grande bâtisse laquée de blanc, portes gardées, allées ombragées et brumisées, rien n’y manque. Des cafés design, des magasins haut de gamme, des restaurants, des espaces beautés. A l’intérieur, la haute société de Delhi flâne tranquillement. A l’extérieur, un camion citerne placé non loin de l’entrée centrale détonne dans ce décor de séries américaines. Autour de lui des dizaines de personnes se disputent l’accès au tuyau de distribution. L’eau est récupérée dans des bonbonnes ou de petites cruches qui servent immédiatement à la toilette. L’eau qui tombe sur les têtes fait coller le sari des femmes. Il faudra faire attention à ne pas noyer son téléphone portable sous les trombes d’eau. Hommes et femmes n’ont peut-être pas accès à l’eau courante, mais hors de question de se passer de l’écran magique. 

 

Vivre d’amour et d’Internet : un exemple du paradoxe de la modernité.

 

© Pauline Trouveroy, Sophie Laden & Julie Jeunejean

 

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